Le Yoga et l'Āyurveda reposent tous deux sur le Sāṁkhya, l'un des systèmes de philosophie védique, qui décrit l'émergence de la création à partir de deux réalités irréductibles, innées et indépendantes : Puruṣa et Prakṛti. Puruṣa, principe masculin non-manifesté, est la conscience pure, la base de toute manifestation et le témoin silencieux de la création. Au niveau individuel, il correspond à l'état d'éveil sans activité mentale. En prenant conscience de lui-même, Puruṣa suscite l'émergence d'une deuxième valeur, Prakṛti, principe féminin qui est l'énergie créatrice subtile, la cause première de l'univers matériel manifesté, la Nature Primordiale. L'union de Puruṣa (qui est infirme sans Prakṛti car non-manifesté) et de Prakṛti (qui est aveugle sans Puruṣa) engendre la création du monde physique (pensée, énergie et matière).
Prakṛti est composée de trois forces fondamentales (guṇa) : sattva, rajas et tamas. Tant que les trois guṇa sont en équilibre, Prakṛti demeure non manifestée et la création n'apparaît pas. Leur mise en mouvement, qui crée donc un déséquilibre, enclenche l'émergence de la diversité du monde relatif.
- Sattva est la force de pure création. Il est associé à la pureté, à la paix, à la lumière, à la clarté, à l'harmonie, à l'amour et à la spiritualité.
- Rajas est la force d'action, de mouvement, d'agitation, de turbulence et de maintien. Il est associé à la réalisation de l'action, à la passion, à l'ambition, au désir et à l'égo.
- Tamas est la force d'inertie et de destruction. Il est associé à la lourdeur, à l'obscurité, à l'ignorance, à l'attachement et à la décomposition.
Tous les objets de ce monde résultent de l'interaction des trois guṇa, dont chacun est une combinaison particulière. L'univers ne pourrait pas fonctionner et l'être humain ne pourrait pas vivre si l'une de ces trois forces était absente. Cela dit, l'Āyurveda et leYoga s'accordent à dire que chacun d'entre nous doit tenter de développer sattva car il est la clé d'une bonne santé et favorise la croissance spirituelle.
Les guṇa et la condition mentale
La psychologie ayurvédique utilise les guṇa, en association avec les doṣa, pour définir des profils psychologiques. Sans rentrer dans les détails des 9 combinaisons possibles, on peut dire que :
- les personnes sāttviques sont capables de contrôler leurs émotions, leurs pensées et leurs actions. Elles ont de nombreuses qualités comme l'honnêteté, la tolérance, l'adaptabilité, la sérénité, l'altruisme, la compassion, la chaleur humaine, l'intelligence et la créativité. Elles trouvent leur bonheur dans l'acquisition de connaissances, de compétences, dans l'aide aux autres, dans la méditation et le développement au niveau spirituel, et peuvent même aller jusqu'à dépasser les notions de bonheur et de malheur, et atteindre la félicité. Elles vivent pour servir la société et aider les autres à avancer sur la voie spirituelle.
- les personnes rājasiques sont travailleuses, actives – en général même agitées – et dominées par leur égo, ce qui les rend ambitieuses, colériques, jalouses et orgueilleuses. Attirées par le pouvoir et les possessions matérielles, elles sont prêtes à tout pour les acquérir. Elles sont très égocentriques, et même quand elles aident les autres, elles s'intéressent avant tout à ce que cela pourra leur rapporter.
- les personnes tāmasiques sont paresseuses, inactives, déprimées, irritables et très égoïstes. Elles ne pensent absolument pas aux autres, peuvent tomber dans la délinquance et sont même capables de nuire à la société tout entière au nom d'une idéologie. Elles trouvent leurs plaisirs dans la nourriture, l'alcool, la drogue et les relations sexuelles.
Développer sattva
Si notre constitution – et donc notre (nos) doṣa dominant(s) – ne peut pas être changée, en revanche, nous pouvons choisir, par ce que nous mangeons et la manière dont nous nous comportons, de favoriser et d'accroître l'un des trois guṇa et donc de modifier notre façon de voir la vie et d'agir vis-à-vis de nous-mêmes et des autres.
Le développement de sattva peut être obtenu par différentes techniques de yoga – contrôle des sens (pratyāhāra : réduction de l'énergie perdue dans les plaisirs sensoriels, en particulier par les yeux et les oreilles, grâce notamment, quand cela est possible, au contrôle de la qualité des impressions sensorielles qui nous parviennent), dévotion (bhakti yoga : orientation vers l'intérieur de notre énergie émotionnelle à travers l'amour de Dieu), méditation (conscience sans pensée) – ainsi que par l'adoption d'un régime alimentaire adéquat (sāttvique).
Les guṇa et l'alimentation
La Bhagavad Gītā, l'un des textes fondamentaux du Yoga, décrit ainsi les régimes sāttvique, rājasique et tāmasique :
« Les aliments qui favorisent la longévité, la vitalité, la force, la santé, le bien-être et la joie – et qui sont onctueux, substantiels et agréables –, voilà ce qui plaît aux êtres sāttviques.
Quant aux êtres rājasiques, ils préfèrent les aliments amers, aigres, salés, épicés, piquants, âpres et brûlants, aliments qui causent déplaisir, souffrance et maladies.
Une nourriture avariée, qui a perdu son goût, est devenue fétide ou pourrie, et même des restes ou des substances impropres au sacrifice, voilà ce qui plaît aux êtres tāmasiques. »
(Bhagavad Gītā, XVII, 8-10 ; traduction d'Émile Senart et Michel Hulin)
Vous trouverez ci-dessous les listes des principaux aliments sāttviques, rājasiques et tāmasiques. Les premiers sont bien sûr à privilégier, dans la mesure du possible, même si des aménagement doivent être faits en fonction de la constitution ou des déséquilibres doṣiques (ainsi, par exemple, les avocats, le sésame ou le blé, bien que sāttviques, ne seront pas conseillés en cas de kapha élevé, alors que l'ail ou l'oignon, pourtant rājasiques, pourront être prescrits pour équilibrer kapha).
- Aliments sāttviques : miel, gelée royale, lait, ghee (beurre clarifié), lassi (yaourt brassé avec de l'eau, des épices et du sel, du sucre ou du miel), sésame, citron (vert), riz basmati, blé, soja, moong dal (soja vert décortiqué), fruits bien mûrs, légumes verts, carotte, avocat, asperge, amande (sans la peau), datte, eau de coco, safran, curcuma, coriandre, basilic,tulsi (basilic sacré), gingembre, cannelle, muscade. Bien que la saveur douce soit sāttvique, des aliments trop sucrés (en particulier avec du sucre blanc) comme les bonbons sont considérés comme tāmasiques.
- Aliments rājasiques : viande, poisson, choux, fruits acides, café, thé, piment, oignon, ail, moutarde, poivre.
- Aliments tāmasiques : légumes racines, champignons, aliments en conserve ou contenant des conservateurs, viande rouge, alcool, fromages fermentés ou vieillis, aliments réchauffés ou rassis.