mercredi 10 décembre 2014

Cuisine et santé : Āyurveda et végétarisme

Alors que deux livres sur la cause animale ont récemment fait parler d'eux [1] et que de plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer les conséquences désastreuses de la surconsommation de viande observée dans les pays occidentaux sur la santé des êtres humains et de la planète, il m'a semblé intéressant de vous présenter la vision de l'Āyurveda sur le sujet et, au-delà, de vous donner quelques clés qui vous permettront de choisir en conscience de changer ou non vos habitudes alimentaires.

Āyurveda et produits carnés


Contrairement au Yoga, qui prône un régime alimentaire exclusivement sāttvique [2], excluant donc les produits d'origine animale (à l'exception du lait et des produits de la ruche), l'Āyurveda ne fait pas du végétarisme un passage obligé pour toutes celles et tous ceux qui voudraient suivre ses préceptes. La viande peut même être recommandée dans certains cas (asthénie, convalescence). Cela dit, tous les centres ayurvédiques sérieux offrent une nourriture exclusivement végétarienne (la viande et le poisson étant fortement déconseillés en période de cure) et l'Āyurveda conseille de diminuer au maximum la consommation de produits carnés.

L'une des raisons de cette recommandation est bien sûr, comme pour le Yoga, liée à la spiritualité : compassion pour les animaux, karma négatif lié au fait de manger de la chair morte, qualités rājasique et tāmasique [2] de la viande et du poisson qui entravent la réalisation spirituelle. Mais, partant du principe que tout ce qui se passe au niveau mental et émotionnel a des répercussions sur le plan physique (et vice versa, bien sûr), l'Āyurveda avance aussi que la peur et la souffrance ressenties par l'animal au moment de son abattage [3] laissent des traces au niveau cellulaire, faisant ainsi de sa chair une mauvaise « matière première » pour la construction et le maintien en bonne santé du corps de celui qui la consomme, car elle est chargée d'informations négatives qui risquent d'engendrer divers troubles.

Le produit animal le plus déconseillé par l'Āyurveda est sans conteste la viande rouge (viande bovine mais aussi porcine). Celle-ci, très tāmasique [2], est en effet très difficile à digérer et produit énormément d'ama [4]. Il convient donc d'en consommer avec beaucoup de modération, de préférence cuite, et si possible avec du poivre noir, des clous de girofle et/ou du gingembre en poudre, qui vont atténuer ses effets nocifs.

Si on tient absolument à manger de la viande régulièrement, mieux vaut alors se tourner vers les volailles (poulet, dinde, éventuellement canard), qui sont plus faciles à digérer et peuvent être utiles, en particulier sous forme de soupes, en cas d'asthénie et de convalescence.

Le poisson, quant à lui, est plus léger que la viande et ne crée donc pas autant de lourdeur pour le système. Cela dit, il n'est pas très conseillé pour les personnes qui ont beaucoup de pitta [5]. Ces dernières préféreront les poissons d'eau douce qui, étant moins salés, augmentent moins pitta. Le jus de citron, le lait de coco et la coriandre permettent de minimiser les effets négatifs du poisson.

Les œufs, enfin, sont considérés comme moins tāmasiques [2] que la viande ou le poisson étant donné qu'ils ne nécessitent pas de tuer un animal vivant. Cela dit, s'ils sont bons pour vāta [5] en petite quantité en raison de leurs qualités toniques et nutritives, ils sont lourds à digérer, augmentent pitta [5] et sont particulièrement contre-indiqués en cas de problèmes hépatiques. Le poivre noir, le curcuma et éventuellement les oignons agissent comme « antidotes » contre les effets indésirables des œufs.

Végétarisme et santé


On l'a vu, bien que reconnaissant leur utilité dans certains cas, l'Āyurveda conseille, pour rester en bonne santé, de consommer les produits carnés avec modération, voire de s'en passer carrément. Des études scientifiques ont également mis en évidence les bienfaits pour la santé d'un régime végétarien. Ainsi, selon l'Association Végétarienne de France« la recherche a montré que les végétariens sont moins susceptibles de souffrir d’obésité, de maladies cardio-vasculaires, d’hypertension artérielle, de diabète (type 2), d’hypercholestérolémie, de certains cancers (côlon, prostate), de maladies du côlon (diverticulites), de polyarthrite rhumatoïde, d’ostéoporose, de constipation et de calculs biliaires. À quoi l’on peut ajouter une présomption d’effet bénéfique pour le cancer du sein, la fibromyalgie et la dermatite atopique. [6] »

Végétarisme et pouvoir d'achat


En ces temps de crise économique, il est de plus en plus difficile d'avoir les moyens de se nourrir correctement. La viande et le poisson, qui sont les principales sources de protéines de la plupart des Occidentaux, deviennent presque des produits de luxe, et on est souvent contraint, pour continuer à en manger quotidiennement, d'acheter des produits de mauvaise qualité issus de l'industrie agro-alimentaire.

Les aliments riches en protéines végétales, quant à eux, sont bien meilleur marché. Une alimentation à dominante végétale permet donc, tout en ayant les apports nutritionnels nécessaires à une bonne santé, de faire de réelles économies... ou d'en profiter, à budget égal, pour acheter des denrées de meilleure qualité, en s'approvisionnant par exemple dans un magasin bio plutôt qu'au supermarché !

La question environnementale


Face à la dégradation croissante de notre planète, il est important aujourd'hui d'intégrer la question environnementale dans nos choix de vie. Or, l'élevage, qui consomme d'énormes quantités de ressources naturelles, est également responsable d'une part importante de la pollution de l'air et de l'eau.
Vous trouverez ci-dessous quelques chiffres, pour la plupart issus du site internet de l'Association Végétarienne de France, qui vous feront peut-être réfléchir et vous permettront de choisir votre mode d'alimentation en toute connaissance de cause :

  • D'après une publication de la FAO [7], l'élevage serait responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre (plus que les transports).
  • Selon Greenpeace [8], l'élevage serait responsable de 80 % de la déforestation amazonienne (une partie importante des 20 % restants étant utilisée pour cultiver des plantes comme le soja qui servent à nourrir le bétail... européen).
  • En Bretagne, la situation catastrophique des nappes phréatiques est directement liée à la très grande concentration d’élevages de porcs.
  • Pour produire 1 calorie animale, il faut produire en moyenne 7 calories végétales.
  • 7 kg de céréales sont nécessaires pour produire 1 kg de bœuf, 4 pour le porc et 2 pour la volaille.
  • Il faut en moyenne 1300 litres d’eau pour produire 1 kg de blé, et 900 litres pour 1 kg de maïs. Pour produire 1 kg de viande de poulet, on passe à 4000 litres, et à 15500 litres pour 1 kg de viande de bœuf !
  • Tandis que le coût en eau d’un menu européen « classique » est d’environ 12000 litres, le coût d’un menu végétarien aux qualités nutritives équivalentes n’est que de 3500 litres, ce qui représente une économie d’environ 70 %.
  • Selon la FAO, plus de 80 % des « stocks de poissons » sont en état de pleine exploitation ou de surexploitation. Certains chercheurs prédisent ainsi la disparition des espèces les plus couramment pêchées pour le milieu de ce siècle.
  • Quant à l'aquaculture, si à première vue elle pourrait apparaître comme une solution face à l'épuisement des ressources halieutiques, elle contribue en fait également à la diminution des populations de poissons sauvages, lesquels sont pêchés en grande quantité pour fabriquer les farines qui servent à nourrir les poissons d'élevage. Ainsi, il faut par exemple au moins 10 kg de poissons sauvages pour obtenir 1 kg de thon rouge ou de saumon ! Et ce n'est là qu'une des facettes de cette fausse bonne idée : quid des tonnes de déjections qui se retrouvent entassées sur des surfaces réduites, et des tonnes de produits chimiques et d'antibiotiques, qui sont utilisés pour faire croître ou pour simplement maintenir en vie ces poissons élevés dans des univers concentrationnaires propices aux épidémies, et dont une part non négligeable se retrouve ensuite dans les océans ?

Solidarité Nord-Sud


Selon le Programme Alimentaire Mondial« aujourd’hui, 805 millions de personnes souffrent de faim chronique dans le monde. Cela représente une personne sur neuf qui ne mange pas à sa faim et ne reçoit pas la nourriture dont elle a besoin pour mener une vie saine et active. La faim et la malnutrition constituent le risque sanitaire mondial le plus important - plus que le SIDA, le paludisme et la tuberculose réunis. [9] » Il y a bien sûr plusieurs facteurs qui expliquent cette situation, comme par exemple des problèmes liés aux aléas du climat (sécheresse, inondation...), l'accaparement des richesses par des pouvoirs corrompus insensibles à la détresse de leur peuple ou une mauvaise gestion des stocks de nourriture. Mais l'élevage, surtout destiné à nourrir les populations des pays du Nord, en fait aussi partie, notamment dans certains pays du Sud où les dirigeants, sous la pression d'institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale, ont favorisé la culture intensive de denrées agricoles d'exportation servant à engraisser le bétail des pays du Nord au détriment des cultures vivrières locales. 

Il y a d'énormes disparités dans la répartition géographique de la consommation de viande. En effet, bien que les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et le Brésil ne représentent environ qu'un tiers de la population mondiale, leurs habitants consomment 60 % du bœuf, 70 % de la volaille et 80 % du porc produits dans le monde. Cela dit, au vu des conséquences désastreuses de l'élevage à grande échelle sur l'environnement et de la forte croissance de la population mondiale [10], il paraît illusoire de vouloir nourrir toute la planète selon le modèle alimentaire occidental actuel qui, on l'a vu, pose de toute façon un certain nombre de problèmes en matière de santé.

Rappelons qu'il faut en moyenne 7 calories végétales pour produire une calorie animale. On estime ainsi que vingt végétariens peuvent être nourris grâce à la superficie agricole nécessaire pour nourrir une personne avec un régime alimentaire carné. De modestes réductions de la production  - et donc de la consommation - de viande pourraient rendre disponibles de grandes quantités de nourriture pour la population humaine.  Par exemple, si 10 % des 670 millions de tonnes de céréales utilisées annuellement pour nourrir le bétail étaient dévolus à l'alimentation humaine, cela permettrait de nourrir 225 millions de personnes [11]. Ainsi, l'éradication de la faim et une plus juste répartition des denrées alimentaires à l'échelle mondiale ne pourront sans doute pas se faire sans une réduction de la consommation de produits de carnés de la part des habitants des pays les plus riches.

Devenir végétarien


Si ce tous ces arguments vous ont convaincu de supprimer certains produits d'origine animale de votre alimentation, sachez que devenir végétarien nécessite quelques ajustements dans sa façon de s'alimenter. En effet, il ne suffit pas de supprimer viandes et poissons pour obtenir un régime végétarien équilibré.

La question centrale est celle des protéines, celles d'origine végétale étant souvent considérées par les nutritionnistes comme de moins bonne qualité que les protéines animales. En réalité, c'est à la fois vrai et faux. Pour bien comprendre, il faut savoir que les protéines sont des assemblages complexes de molécules plus simples, les acides animés. L'être humain adulte est incapable de synthétiser huit de ces acides aminés, qu'il doit donc absolument trouver dans sa nourriture. Les protéines animales contiennent l'ensemble de ces acides animés dans des proportions proches des besoins de notre organisme, d'où l'idée de protéines « de bonne qualité », tandis que la plupart des végétaux sont pauvres en un ou deux de ces acides aminés essentiels. Or, au cours d'un même repas, il suffit qu'un seul d'entre eux manque ou soit en quantité insuffisante pour bloquer l'assimilation de tous les autres. Heureusement, il existe une solution exclusivement végétale à ce problème : l'association céréales (pauvres en lysine mais riches en cystine et en méthionine) et légumineuses (pauvres en cystine et en méthionine mais riches en lysine). D'ailleurs, nos ancêtres avaient compris intuitivement l'intérêt de ce genre d'association, qu'on retrouve dans les cultures culinaires traditionnelles des quatre coins du monde : riz et soja au Japon, riz et lentilles en Inde, blé et pois chiches ou fèves dans le bassin méditerranéen, blé et haricots ou pois cassés dans toute l'Europe, maïs et haricots en Amérique latine... Un repas végétarien équilibré comportera donc des légumes, des céréales (riz, blé, petit épeautre, quinoa, avoine, orge, seigle, maïs, sarrasin, millet, fonio...) et des légumineuses (soja, haricots mungo ou soja vert, haricots blancs, haricots rouges, fèves, lentilles, pois chiches, pois cassés, azukis...).

L'autre question, cruciale pour les végétaliens mais aussi pour les végétariens qui consomment peu de lait ou d’œufs, est celle de la vitamine B12. En effet, cette vitamine, dont une carence peut provoquer une anémie et des troubles neurologiques, ne se trouve que dans les produits d'origine animale. Pour prévenir tout déficit de vitamine B12, il est donc recommandé de se supplémenter grâce à des aliments enrichis en vitamine B12 ou à des compléments alimentaires que l'on peut trouver en pharmacie ou en magasin bio.

Vous trouverez ci-dessous quelques sites internet et livres qui vous aideront à acquérir de nouvelles habitudes alimentaires :

  • Association Végétarienne de France : vous trouverez sur son site internet, entre autres, un guide (gratuit) du végétarien débutant, des recettes, un annuaire des restaurants végétariens...
  • Lili's kitchen : un très bon blog (en français) de recette végétaliennes.
  • Ma cuisine végétarienne pour tous les jours de Garance Leureux (éditions La Plage) : une initiation complète à la cuisine végétarienne.
  • Recettes végétariennes de l'Inde de Kiran Vyas (éditions La Plage) : une petite introduction à la cuisine ayurvédique à travers une centaines de recettes essentiellement originaires du Gujarat.
  • Fabuleuses légumineuses de Claude Aubert (éditions Terre Vivante) : un livre indispensable pour tout savoir sur les légumineuses et pour apprendre à les cuisiner au travers de 140 recettes traditionnelles.
  • Le Manuel de cuisine alternative de Gilles Daveau (éditions Actes Sud) : un ouvrage qui explique pourquoi et comment se nourrir autrement et qui, sans prôner un régime végétarien, invite à revaloriser les protéines végétales.
  • Fêtes végétariennes au quotidien, le dernier hors-série du magazine Kaizen : vous y trouverez, entre autres, des recettes pour un Noël végétarien qui régalera tout le monde !

En guise de conclusion


Les données que vous avez pu découvrir tout au long de cet article montrent que notre façon de nous alimenter a une influence non négligeable non seulement sur notre propre santé mais aussi sur divers domaines auxquels nous ne pensons pas forcément comme l'environnement (qualité de l'air et de l'eau, gestion de l'eau potable), la faim dans le monde et les relations Nord-Sud. Face à tous ces enjeux, de plus en plus de voix prédisent que, de gré ou de force, l'humanité devra se tourner vers une alimentation plus ou moins végétarienne dans les décennies à venir.

Cela dit, nous n'en sommes pas encore là et mon but, à travers cet article, n'est pas de vous convertir absolument au végétarisme, mais plutôt de vous faire réfléchir sur vos habitudes alimentaires, que vous pourrez ensuite, en conscience, décider de modifier... ou non. En effet, s'il est relativement facile de diminuer sa consommation de produits d'origine animale, devenir végétarien doit résulter d'un véritable choix personnel et ne doit aucunement être vécu comme une contrainte. Alors, si vous ne pouvez pas vous passer de viande ou de poisson, essayez déjà d'en manger moins et moins souvent, et profitez-en pour acheter des aliments de qualité, qui vous font vraiment envie, et que les économies réalisées par la diminution de votre consommation de produits carnés vous permettront de vous offrir. Enfin, ayez toujours à l'esprit que, quel que soit le mode d'alimentation que l'on choisit, il est très important de ne pas oublier de se faire plaisir, car ça aussi, c'est bon pour la santé !


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[1] Il s'agit de Plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard (Allary Éditions) et de L'animal est une personne de Franz-Olivier Giesbert (Fayard).
[2] Voir l'article sur les trois guṇa.
[3] Sans parler de la souffrance ressentie quotidiennement par les animaux dans les grands élevages industriels où ils sont traités de façon indigne, comme de vulgaires marchandises.
[4] Voir l'article sur la digestion.
[5] Voir l'article sur les doṣa.
[6] http://www.vegetarisme.fr/pourquoi-etre-vegetarien/sante
[7] Lifestock's long shadow, 2006 (p. 112) / L'ombre portée de l'élevage, 2009 (p. 125).
[8] Amazon Cattle Footprint, Mato Grosso: State of Destruction, janvier 2009.
[9] http://fr.wfp.org/faim
[10] D'après l'ONU, la population mondiale devrait atteindre 9,6 milliards en 2050.
[11] Sauf mention contraire, les chiffres de cette partie sont tirés du livre Annapurna's prasad de Nibodhi (Mata Amritanandamayi Mission Trust).

1 commentaire:

  1. Ce n'est pas évident de changer son alimentation du jour au lendemain. Cela demande de grande motivation et surtout il faut aussi avoir un objectif. L’Ayurvéda présuppose donc que chaque être humain a sa santé pour responsabilité. Cultiver la santé et le bien être demande un effort de la part de chaque individu, car nous sommes constamment happés et sollicités par le monde extérieur.Prendre soin de sa santé et en prendre responsabilité demande une attention soutenue.
    Cela demande de cultiver une certaine sensibilité à l’égard de ce que nous ressentons physiquement et mentalement. Cela demande aussi de répondre aux besoins du corps et de l’esprit, ce qui peut exiger une bonne dose d’humilité…Pour en savoir plus sur l'Ayurvéda: http://ayurveda.confort-domicile.com/

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